Cette troisième et dernière partie – qui ne correspond pas au troisième volet de la triologie Les sources de la subversion – revient quant à elle à l’église de Mani, la seule gnose qui se développa socialement et muta à travers les contrées et siècles.
En découvrant des manuscrits gnostiques en Egypte et en Asie, les chercheurs furent surpris de constater qu’ils coïncidaient précisément avec les textes revendiqués par le Manichéisme. « La découverte en copte des originaux de ces textes, écrit Jean Doresse, jusqu’alors perdus, permet de constater, maintenant, combien la littérature de nos Gnostiques représente exactement le répertoire d’écrits duquel le Manichéisme s’est servi comme modèles 55. » La doctrine manichéenne n’est pas d’origine perse, pas plus qu’elle n’est un syncrétisme forgé à la croisée des religions : elle est héritière de la gnose judéo-chrétienne primitive. Elle a simplement recouvert ses traits religieux d’un verni emprunté aux traditions de l’Orient. Henri-Charles Puech l’a montré, concluant que « directement ou indirectement, par l’intermédiaire des gnosticismes antérieurs, le christianisme a joué un rôle essentiel, sinon définitif, dans la formation du message de Mani. Si la majorité de nos documents atteste une connaissance approfondie de Jésus, de son Eglise et du Nouveau Testament, ils sont réticents, parfois même étranges en ce qui concerne Bouddha et Zoroastre qui n’apparaissent jamais que dans des parallèles formels. Fondés sur des trouvailles du Tourfan et du Fayoum, ils montrent combien les conceptions du siècle dernier où le manichéisme était réduit à une forme originale du mythe iranien, sont dépassés. » 56
Dès le début du IIe siècle, les communautés judéo-chrétiennes elkasaïtes sont fortement implantées dans l’empire iranien et en Arabie. Le Codex Mani de Cologne confirme qu’elles sont florissantes au IIIe siècle. Dans le même temps, Alcibiade d’Apamée propage la doctrine jusqu’à Rome. Origène en constate les progrès en Palestine sous Philippe l’Arabe (244-249). Au siècle suivant, Epiphane témoigne que les communautés baptistes du Jourdain ont presque toutes été assimilées à l’elkhasaïsme. Des traces notables de ce christianisme paulinien ont été retrouvées dans les documents manichéens d’Asie centrale et d’Extrême-Orient. Des réminiscences eucharistiques ont même été relevées dans un Hymnaire manichéen chinois retrouvé dans les grottes de Dunhuang 57. Le Codex Mani de Cologne rapporte ces mots d’Elkhasaï (le fondateur de la secte du père de Mani), prenant une parcelle de terre et la déposant sur sa poitrine : « C’est la chair et le sang de mon Seigneur 58. » La doctrine manichéenne est directement tributaire des mouvements gnostiques judéo-chrétiens. Si Mani se pare de certains éléments empruntés à des traditions diverses, et invoque des prophètes comme Jésus, Zaradès, ou Bouddha, c’est pour donner à son enseignement le gage d’une antériorité toute fabriquée. C’était déjà la méthode utilisée par les premiers gnostiques. Mani ne fait que reproduire ce procédé, en s’efforçant de rassembler et d’organiser les sectes gnostiques de son temps, qu’il parvint à structurer en une véritable église dotée d’une doctrine propre, d’une liturgie, d’une hiérarchie, etc… Étienne Couvert résume : « plutôt qu’un penseur et un fondateur de religion, il fut un remarquable organisateur et constructeur d’Eglises et de Communautés qui se répandirent dans tout l’Orient et jusqu’en Asie centrale 59 ».
En 380, l’Empire romain adopte le christianisme comme religion officielle. Les papes et les autorités romaines s’élèvent contre les manichéens ; le pape Sirice en fait exiler, Léon Ier les répriment, les empereurs Valentinien II et Théodose Ier les condamnent. L’empire romain va donc contenir la gnose en orient à partir du IVe siècle. C’est à l’Est qu’elle persistera pendant tout le haut Moyen-Âge, comme en sommeil, avant de faire progressivement son retour dans l’occident chrétien.
Au VIIe siècle en Asie Mineure, apparaissent les pauliciens qui professent un dualisme opposant le Dieu bon au mauvais démiurge. Ils refusent le baptême, l’eucharistie et l’Ancien Testament, et considère le Christ comme un homme que le Père a adopté pour délivrer l’homme prisonnier de la matière. Au Xe siècle apparaissent les bogomiles. Les recherches menées sur les sources grecques et orientales accusent une influence probable des pauliciens, chassés de l’Arménie vers la Thrace bulgare au VIIe siècle. De là ils se répandent, d’abord sur le territoire de l’Etat bulgare, ensuite sur le reste des Balkans et en Europe occidentale. Un statut officiel leur est accordé au XIIIe siècle en Bosnie et en Bulgarie et leur influence s’étend jusqu’à Constantinople. On les appelle aussi les « patarins », notamment en Bosnie. Les bogomiles enseignent le dualisme de principes, le monde est l’œuvre du mauvais principe et l’âme seule est l’œuvre du Dieu bon. Ils rejettent le mariage, la procréation, s’abstiennent de viande et de vin, condamnent l’Ancien Testament, l’Eglise et les sacrements, et ne reconnaissent que la prière personnelle du Notre Père. Les bogomiles sont des manichéens qui ignorent les origines de leur doctrine : elle est absolument conforme à celle de leur maître, Mani, à qui ils ne font pourtant jamais référence. Condamnés puis chassé par les empereurs byzantins, ils émigreront en direction de l’Europe occidentale. Ils fondent des églises en Italie, et passeront de la Lombardie jusque dans le midi de la France. Les premiers cathares sont nés.
La tradition occultiste
Si le développement de certaines idées religieuses a pu lui donner des formes plus ou moins particulières, il est frappant de constater que les caractéristiques principales de la magie sont identiques sur tous les continents et à toutes les époques. Il est donc parfaitement fondé de reconnaître l’existence d’une « tradition occultiste », dont l’origine est historiquement difficile à démontrer mais dont l’influence ne cesse de s’exercer au court des siècles. On peut suivre la trace d’un culte magique existant sous une forme indépendante jusqu’en Chaldée, dans la Mésopotamie antique. Ses éléments constitutifs sont déjà présents dans les tablettes cunéiformes de l’époque sumérienne. C’est plus tard en Médie, actuel Iran, que la magie telle qu’on a connait sera baptisée ; son influence sur le mazdéisme donnera naissance à la caste sacerdotale des magoush, en grec magoi, les mages perses.
Dans sa forme première, animique, qui semble être la plus ancienne, la magie attribue une âme particulière à chacune des forces naturelles terrestres et célestes (pluie, fécondité, reproduction, etc…), sur lesquelles l’homme peut agir par le biais de sa propre force vitale.
Une seconde forme, la magie théurgique, repose sur l’existence d’êtres spirituels supérieurs au monde terrestre, considérés comme bons ou mauvais, et doués d’une volonté, d’une intelligence propre capable d’impacter la nature et les hommes. Ainsi s’établit un lien entre deux plan de manifestation, le visible et l’invisible, le monde des esprits et celui des hommes, qui ne sont que deux modes d’existence d’une même réalité. Leur parfaite correspondance permet à celui qui sait agir sur le monde invisible, en lien avec les esprits, de transformer par ricochet des éléments du monde visible (évènements, lieux, personnes, etc…).
Au temps du paganisme précédent l’ère chrétienne, la magie est répandue dans toute l’Asie centrale et jusqu’en Europe, notamment en Grèce et à Rome. Aux premiers siècles de notre ère les pratiques magiques sont recueillies et « cultivées avec ferveur par les Gnostiques, les Néoplatoniciens, les Néopythagoriciens, les Manichéens, les Mithriaques et les Orphiques. Par ses caractères fondamentaux le gnosticisme est essentiellement une doctrine occultiste. Il fait dépendre de la Gnose, ou connaissance, à laquelle le disciple est initié par degrés successifs. […] La solution du problème de la création du monde imparfait et fini par une puissance parfaite et infinie et qui consiste à placer entre Dieu et le monde une série d’êtres intermédiaires, émanation de Dieu ou simples hypostases de ses attributs, et qui sont des obstacles à la réunion de l’homme avec le Père, n’était qu’une variante du vieux concept animiste qui avait individualisé les forces naturelles hostiles à l’homme et qui était à la base de la magie antidémoniaque. On trouve déjà exprimé dans les textes magiques des inscriptions cunéiformes l’ardent désir de délivrance qui anime les Gnostiques, ceux-ci ont simplement transporté sur le plan intellectuel et moral un sentiment dont l’origine avait été purement matérielle. 60 »
Ainsi la gnose des premiers siècles apparaît comme le vaste creuset dans lequel vont venir se fondre les éléments principaux de la tradition occultiste. Ces pratiques magiques trouveront dans le symbolisme des mythes et la complexité des constructions cosmogoniques, caractéristiques des grands maitres de gnose, un appui précieux dans l’élaboration des systèmes doctrinaux. On retrouve l’influence des théories astrales chaldéennes dans les Archontes gnostiques, ces entités démoniaques associées à la création de l’univers physique (7 lorsqu’ils sont associés aux planètes, 12 pour les signes du zodiaque, 365 pour les jours de l’année). Dans leurs traités les grands docteurs gnostiques présentent le recours à la magie comme les moyens secrets permettant de dominer les Archontes, et nécessaires à l’homme pour accéder au salut. De cette façon, seul l’initié qui possède les noms de Archontes peut, sur présentation des mots de passe, franchir les sphères de la matière dont ces démons sont les gardiens. Les valentiniens considèrent que les grands initiés eux-mêmes peuvent échapper au salut s’ils ne prononcent pas les formules magiques au bon moment. Dans le traité de la Pistis Sophia, la vertu magique attribuée aux rites et aux formules est seule capable de transcender la fatalité astrale. Les sabéens utilisent des formules pour s’affranchir des entités démoniaques qui dominent les planètes et maintiennent les âmes asservies dans le monde. Les ophites, qui adorent le Serpent de la genèse, confient aux initiés un sceau, un chiffre et une formule, nécessaires au passage des sphères célestes.
Chez les néoplatoniciens aussi la magie va progressivement envahir les systèmes philosophico-religieux. Le but de son introduction fut d’ouvrir par des canaux multiples les voies de l’extase et faire coïncider l’homme avec l’intelligence divine ; ce que les fondateurs de l’école eurent de la peine à réaliser – Plotin affirme n’avoir connu l’extase que quatre fois au cours de sa vie et Porphyre, son disciple, une seule. Leurs disciples vont en revanche trouver dans la magie des moyens de s’adresser aux êtres intermédiaires qui séparent l’homme de la divinité (sans pour autant leur rendre un culte) et la démonologie prendra peu à peu, à partir de Jamblique, la place de l’illuminisme extatique. Plutarque considère la théurgie des oracles chaldéens comme la puissance par excellence. Son disciple Proclus parle d’une « puissance théurgique » et professe une philosophie qui vise à l’évanouissement de la personnalité et de la raison individuelle dans l’union de l’âme avec l’Absolu, le divin immanent et inexprimable. « En résumé, écrit Le Forestier, les derniers représentants de l’école élevèrent la magie à la hauteur d’une religion et la liturgie nouvelle, qu’ils composèrent de rites empruntés à différents cultes, rappela en bien des points les cultes magiques de l’Egypte et de la Perse 61. »
En outre, les sectes gnostiques vont récupérer des éléments issus des cultes à Mystères qui attirent des populations nombreuses jusqu’au IIIe siècle ; notamment le culte de Mithra, hérité de la science des mages perses et très populaire chez les légions romaines, et celui d’Osiris. « Parmi les mystères de l’Egypte, ceux d’Osiris et d’Isis, étaient les plus célèbres, et ils servirent surtout de modèles aux Gnostiques, par suite notamment de la circonstance que le centre des écoles gnostiques les plus célèbres se trouva en Egypte, à Alexandrie 62. » On retrouve aujourd’hui cette filiation transmise jusque dans la franc-maçonnerie, voilée derrière le mythe qui forme la trame du grade de la Maîtrise. En recueillant les traditions d’Asie centrale, l’Egypte a également diffusé tout un bagage ésotérique qui prendra plus tard le nom d’alchimie. Cette science ésotérique de la transmutation des métaux passera ensuite en Grèce où elle sera réinterprétée par les alexandrins et fondu dans la littérature philosophico-religieuse de l’hermétisme. Les ouvrages qu’il nous restent en donne une version philosophique qui renferment « un mélange d’idées empruntées au Timée et de conceptions mystiques et gnostiques. Ainsi mêlée aux spéculations de la philosophie néoplatonicienne la plus mystique, l’alchimie s’imprégna, profondément et pour toujours, des traditions occultistes. » 63
Toutes ces influences donnent à la tradition occultiste du début de notre ère une forme achevée qu’elle conservera au fil des siècles dans les courants souterrains et qui pénètreront en Europe à l’ombre du christianisme avant de remonter graduellement à la surface pour apparaître en pleine lumière à la fin du moyen âge. Cette longue transmission se fit également par l’intermédiaire privilégié du judaïsme, en sorte que « les vrais gardiens de la tradition occultiste, écrit Le Forestier, furent les Juifs. 64 » Si la Bible est claire à ce sujet et que la magie y est explicitement condamnée, l’influence du vieux fond magique issu de la Mésopotamie s’est toujours propagé dans les classes populaires. Malgré les mises en garde et les fulminations des prophètes, l’introduction de la magie se fit par les contacts des hébreux avec les peuples de Perse et de Chaldée et notamment lors de la captivité. Exilés à Babylone, les juifs rapportèrent les pratiques magiques en Palestine. Elles s’exercent dans les écoles rabbiniques des premiers siècles qui, imprégnées de mysticisme, s’efforcent de relever dans la Thora les traces des doctrines secrètes en transposant le sens des Ecritures du plan littéral au plan figuré. Les juifs alexandrins pratiquent l’alchimie. Les influences de la tradition occultiste vont ainsi pénétrer les cercles d’érudits et s’inscrire dans la rédaction du Talmud et dans l’esprit du judaïsme naissant. « Dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, écrit Thomas de Cauzons, les fils de Juda semblent effectivement avoir fourni au personnel de la magie un appoint considérable. On les considérait comme les dépositaires de la tradition magique. […] Savants dans tous les arts occultes, souvent initiateurs des chrétiens dans les mystères de la magie 65 ». Cette tradition de l’occultisme se poursuit discrètement jusqu’au XIIe siècle dans les cercles juifs, notamment par le biais d’ouvrages mystiques faussement attribués à des prophètes comme Moïse et Elie, ou des rabbins des premiers siècles. Son influence ne deviendra publique qu’au court du moyen âge avec l’apparition de la kabbale, résurgence de la vieille tradition gnostique en contexte spécifiquement juif, dont l’aspect pratique n’est rien d’autre que de la magie : « c’est au XIIIe siècle qu’est née la Kabbale juive où ont été recueillis et conservés, à côté des débris des doctrines néoplatoniciennes et gnostiques, les lambeaux épars des antiques magies […]. Les ouvrages kabbalistiques ont été le dépôt commun où se trouvaient accumulés dans le plus grand désordre (car Kabbale Théorique et Kabbale Pratique y sont toujours confondues) les résidus dans anciennes religions naturalistes et magiques, les débris des systèmes mystiques les plus différents et les éléments des diverses sciences occultes. C’est dans ce poussiéreux magasin d’antiquités, où les objets les plus hétéroclites avaient été entassés par une race qui ne laisse rien perdre, que sont venus fouiller, à l’époque moderne, les amateurs de connaissances secrètes et d’antiques traditions, quand la théologie officielle et publique ne leur suffisait plus. 66 »
Conclusion
Après son apparition dans les milieux judéo-chrétiens, la gnose connaît à partir du IIe siècle un développement considérable. Les philosophes païens, en réformant d’ancienne doctrines pour aboutir à un degré de sophistication supérieur, vont en intégrer les grands éléments pour tenter de la concurrencer sous ses formes religieuses. La plus grande élaboration sera celle de Plotin, dont l’influence se fera sentir jusque dans la philosophie moderne. « Il n’est pas, enfin, dans les temps modernes, toute une famille d’esprits – Spinoza, Leibniz, Novalis, Schelling, Hegel ou Bergson – où ne se puisse reconnaître une parenté avec tel aspect ou même avec la position générale de la pensée de Plotin. 67 »
Mais précisons qu’au moment de sa diffusion, cette autorité de Platon s’exerce aussi chez les nouveaux convertis au christianisme. Dans le monde gréco-romain, Platon est la figure incontournable à laquelle se réfèrent des intellectuels chrétiens qui vont introduire dans le christianisme certains présupposés platoniciens, et tenter de faire coïncider les deux métaphysiques, sans voir que la contradiction est pourtant irréductible. Ils auront bien du mal, pour cette raison, à défendre leur position face aux tenants du paganisme. Origène, disciple d’Ammonius (comme Plotin), lorsqu’il s’oppose à Celse, tente en vain de trouver des analogies entre la métaphysique de Platon et celle qui sous-tend toute la tradition biblique. Porphyre dit de lui qu’il « vivait en chrétien et violait les lois, mais il avait les idées d’un Grec sur le monde et le Divin et il substituait les doctrines des Grecs aux fables étrangères [le Christianisme]. 68 » Saint Augustin aussi sera fortement influencé par les néo-platoniciens auxquels il témoignera le plus grand respect, avant de se rétracter sur la fin de sa vie lorsqu’il en mesurera l’incompatibilité avec le christianisme.
Il faut donc insister en précisant que la gnose se présente dès le début sous un double aspect : à la fois religieux, mais aussi philosophique. Dans sa forme religieuse, elle prétend détenir et transmettre un enseignement de vérités cachées contenues dans l’Evangile et dont la systématisation s’oppose presque point par point à celle de la Tradition biblique dans son esprit commun. Dans sa forme philosophique, elle est une tentative d’absorption des mystères chrétiens dans le cadre strict des spéculations humaines. Dans les deux cas c’est la Connaissance d’une vérité cachée, gnosîs, qui se substitue à la Foi commune, pistis.
Sous sa forme « chrétienne », la gnose a survécu en marge de l’Eglise et donné naissance à des foules de surgeons qui – revenant parfois jusqu’au paganisme des origines – se présentent aux esprits avides de sens et en quête de mystérieux, sous les traits faux mais habiles de l’orthodoxie. Au fond la gnose, colonne vertébrale de l’ésotérisme, se contentera d’absorber et de digérer le message chrétien pour n’en n’offrir que des contrefaçons, fussent-elle des plus complexes ou des plus séduisantes.
Le corpus thématique de l’ésotérisme – dont l’occultisme est en fait le corollaire pratique – s’est donc essentiellement constitué au cours des premiers siècles, avant de s’étendre et de déteindre sur les traditions religieuses et philosophiques des nations. Ce bagage de l’ésotérisme s’est transmis en Orient par des voies innombrables, en trouvant dans gnosticisme d’abord, puis dans le néo-platonisme, l’hermétisme, le manichéisme, et la kabbale, les principaux moyens de codification grâce auxquels elle a pu parvenir, voilée dans le secret des sectes et des sociétés secrètes, jusqu’aux entrailles de l’Occident chrétien. Cette persistance souterraine a permis une transmission constante et réservé à de petits conventicules, au moyen notamment de l’initiation progressive, par laquelle on ne dévoile pas la doctrine complète et explicite mais on amène au contraire l’adepte à découvrir lui-même le sens réel caché dans le fatras du symbolisme.
Aujourd’hui en revanche, et depuis l’époque romantique, c’est le plus souvent par le biais de la littérature que les thèmes de l’ésotérisme se transmettent. Dans son livre remarquable sur La mystique du surhomme, Michel Carrouges a dressé une analyse lucide de la littérature moderne, sur laquelle on ne peut poser « aucun jugement valable si on ne comprend pas qu’elle est avant tout l’aventure d’un mouvement magico-mystique rival de la religion. 69 » Les ouvrages et les auteurs qui les véhiculent aujourd’hui sont innombrables ; il suffit de jeter un coup d’œil dans les rayons consacrés des grands commerces pour constater l’étendue de la vulgarisation des grands thèmes de la gnose.
Céleste GOUBLY
55 Jean Doresse, Les livres secrets de l’Egypte, Les gnostiques, Editions du Rocher, 1984, Paris, p. 359
56 Henri-Charles Puech, cité par Étienne Couvert, Visages et masques de la gnose, Chiré, 2011, p. 26
57 Henri-Charles Puech, Sur le manichéisme et autres essais, Paris, Flammarion, 1979, p. 153 et suiv.
58 Henri-Charles Puech, Sur le manichéisme et autres essais, Paris, Flammarion, 1979, p. 167, note additionnelle
59 Étienne Couvert, La gnose universelle, Chiré, 1993, p. 15
60 René Le Forestier, L’occultisme et la franc-maçonnerie, Archè, Milan, 1987, pp. 36-37
61 René Le Forestier, L’occultisme et la franc-maçonnerie, Archè, Milan, 1987, p. 43
62 Edouard Haus, Le gnosticisme et la franc-maçonnerie, H. Goemaere, Bruxelles, 1875, p. 23
63 René Le Forestier, L’occultisme et la franc-maçonnerie, Archè, Milan, 1987, p. 56
64 René Le Forestier, L’occultisme et la franc-maçonnerie, Archè, Milan, 1987, p. 64
65 Thomas de Cauzons, La magie et la sorcellerie en France, vol. II, Librairie Dorbon-Ainé, Paris, 1910, pp. 18-19
66 René Le Forestier, L’occultisme et la franc-maçonnerie, Archè, Milan, 1987, pp. 80-94
67 Henri-Charles Puech, En quête de la gnose, tome I, Gallimard, 1978, p. 57
68 Porphyre, Contra Christianos, III, 39