« Les Khazars dirigent le monde » : qui n’a jamais rencontré au moins une fois cette affirmation au cours de ses pérégrinations sur internet ?
Comment se fait-il qu’une obscure tribu turcique disparue au Moyen-Age dans les steppes eurasiennes du nord du Caucase soit créditée de tant d’importance au XXIe siècle.
Et il n’y a pas que sur « Conspi Magazine » que l’on trouve pléthore de développements au sujet des Khazars. Les médias mainstream en fourmillent. Eux, bien sûr, ne vous diront pas que les Khazars dominent le monde, en revanche, ils ne se privent pas de relayer cette thèse. Ou plutôt ce qui la motive : à savoir que les juifs ashkénazes seraient d’origine khazar.
Dans un article tout récent, daté de septembre 2024 1, une « historienne du négationnisme », docteure en histoire contemporaine revient longuement sur la généalogie de ce qu’elle appelle le « mythe judéo-khazar ». Selon elle, il remonterait au XIXe siècle, mais aurait réellement émergé dans les années 50, sous la plume d’un américain juif antisioniste : Alfred M. Lilienthal, motivé par le désir de combattre «le potentiel du sionisme à corrompre le judaïsme ».
La véritable rampe de lancement de cette théorie auprès du grand public fut cependant, continue-elle, en 1976, la publication du livre du juif anti-communiste Arthur Koestler : La Treizième Tribu. L’Empire khazar et son héritage.
L’historienne conclut son article très en faveur de ce qu’elle appelle « les descendants sémites des lignées royales de David et Salomon » par ces deux phrases définitives : « Ce mythe [l’origine khazare des juifs ashkénaze], en suggérant une origine non sémitique des Juifs modernes, fonctionne comme un outil de rhétorique antijuive, transcendant les décennies et les frontières géopolitiques. Comparable aux thèses négationnistes, il fédère des extrémistes de divers horizons autour d’une hostilité commune envers les Juifs et Israël, illustrant la manière dont l’antisémitisme est souvent intrinsèque à l’antisionisme ».
Nous ferions mieux, sans doute, face à ce sujet visiblement sulfureux, de nous en tenir aux lumières de cette docteure es négationnisme. Mais le bon sens et quelques rapides recherches complémentaires suffisent à indiquer que tout n’est peut-être pas aussi simple.
Tout d’abord, contrairement à ce qui est affirmé dans l’article cité plus haut, il n’est pas du tout évident que les premières interrogations au sujet des liens entre Khazars et juifs d’Europe ne remontent qu’à Isaac Baer Levinsohn, un rabbin ukrainien du début du XIXe . Au XIIe siècle, par exemple, un rabbin, Benjamin de Tulède discutait déjà le fait que les Khazars pourraient faire partie des dix tribus perdues d’Israël.
Les tribus perdues… Voilà un autre aspect du problème, que l’article n’évoque pas et qui pourtant parait central dans cette affaire, puisque le livre d’Arthur Koestler s’intitule précisément « La treizième Tribu »…
Mais n’allons pas trop vite. Reprenons les éléments du problème.
Nous avons donc :
- une tribu eurasiatique a l’origine d’un empire conséquent, empire dont l’apogée est attesté dans les sources historiques aux alentours du IXe de notre ère.
- des textes de rabbins s’interrogeant au moins depuis le XIIe siècle sur la nature de la conversion au judaïsme des membres de cette tribu, tout au moins celle de ses chefs.
- une relance du sujet au XIXe siècle et une récupération idéologique de cette question par des antisionistes à partir de la guerre froide.
- un emballement médiatique sur ce sujet à partir des années 1970, notamment grâce au livre d’Arthur Koestler sensé combattre l’antisémitisme, puis celui de de Shlomo Sand : « l’invention du peuple juif » qui utilise le cas particulier des Khazars pour remettre en cause la légitimité du sionisme politique.
- un aspect de l’histoire de la Russie, mis en lumière par le père de l’eurasisme, Lev Goumilev ,à l’époque soviétique (Les Khazars, histoire d’un peuple, publié en 1974), qui passionne de nombreux chercheurs israéliens et qui est l’occasion de fouilles archéologique généreusement financées par des ONG juives russes (comme le Congrès juif russe par exemple, à partir des années 2000, pour les fouilles sur le site de Itil, la capitale khazare, près d’Astrakan)
Nous avons également :
- une question majoritairement portée et relancée par des juifs mais qui, généralement, est considérée comme un marqueur de négationnisme et d’antisémitisme (dixit notre historienne du négationnisme citée plus haut)
- un sujet qui caracole en tête des explications complotistes du monde, au coude à coude avec des thèmes comme ceux des jésuites ou des Rothschild
Revenons maintenant à notre question de départ : en quoi la conversion de cette obscure tribu turcique au judaïsme il y a plus de 1000 ans serait-elle importante, intéressante ou problématique pour notre époque ?
Ce pourrait-il qu’elle soit la métaphore, voire le paravent d’autres réalités, plus occultes ou plus occultées?
Une pierre dans le jardin des « sionistes pressés »
Parmi les juifs qui brandissent l’idée de l’importance, pour l’identité des Ashkénazes, de la conversion des Khazars au judaïsme au Moyen-Âge, rares sont ceux qui portent l’État d’Israël dans leur cœur.
Il s’agirait donc d’une pierre dans le jardin des « sionistes pressés », ceux à qui des juifs peut-être plus religieux reprochent de vouloir remplacer le messie en cherchant à reconstruire à sa place le royaume de la terre promise, nonobstant les préceptes du Talmud interdisant le retour en masse des juifs sur la terre sainte avant la manifestation dudit messie.
On objectera que la plupart des juifs thuriféraires des Khazars sont des juifs athées ou des juifs qui rejettent leur appartenance juive ou qui sont convertis à une autre religion – donc à-priori qui se fichent comme d’une guigne des préceptes du Talmud.
Mais qui sait exactement quelles sont les forces qui favorisent la mise en lumière du discours de tel ou tel intellectuel dans l’espace public ? Les travaux d’un universitaire athée, peuvent tout à fait, à son insu, servir les desseins de fanatiques religieux (et inversement).
Rester focus sur les Ashkénazes
Il y a aussi un aspect que l’on ne voit pas toujours quand le sujet « Khazars » est abordé. C’est la focalisation sur les Ashkénazes.
L’empire khazar n’a pas été le seul état hors de Palestine dont les dirigeants étaient juifs ou convertis au judaïsme. Au Moyen-Age, il y a plusieurs exemples. On pense spontanément à la Kahena en Tunisie (même s’il y a débat pour savoir si elle était plutôt juive ou chrétienne). Mais il y en eut vraisemblablement aussi en Arabie par exemple – très peu connus, fautes de recherches.
L’Europe n’est pas non plus en reste. Prenons par exemple le « Royaume juif de Narbonne » à l’époque de Charlemagne. Peu de sources sont disponibles à son sujet (des livres ont néanmoins été écrit à ce propos ; voir par exemple Arthur J. Zuckerman, The Nasi of Frankland in the Ninth Century and the Colaphus Judaeorum in Toulouse ), son histoire est très peu connue et pourtant elle est très intéressante. Pas sans lien, d’ailleurs, avec l’invention de la locution « juifs ashkénazes « par le grand rabbin Rachi de Troyes au XIe siècle… Mais nous y reviendrons.
Pourquoi alors faire autant de gorges chaudes sur la seule Khazarie et sur les juifs dit « ashkénazes» (ce que l’on peut traduire par les « juifs allemands », si l’on se réfère à Rachi)?
Un début d’éclairage nous est donné par Abraham Poliak, sur lequel nous reviendrons plus loin : “A une époque où le monde était strictement partagé selon les doctrines idéologiques du christianisme et de l’islam, l’empire khazar représentait une ‘troisième force’ qui avait prouvé aux deux autres son égale valeur, à la fois comme adversaire et comme alliée. Les Juifs khazars formèrent le noyau de la diaspora juive en Europe de l’Est… Leurs descendants constituent aujourd’hui la grande majorité de la communauté juive.”
L’empire Khazar, comme ancêtre du Tiers monde et préfiguration de la multipolarité ?
Tous les Ashkénazes peuvent-ils descendre d’une seule tribu turcique d’Eurasie ?
À ce stade, il faut quand même en arriver à se poser la question : est-il plausible que les juifs ashkénazes descendent tous des Khazars ? À vrai dire oui et non.
Dans l’absolu, oui, ça pourrait être une possibilité. Mais dans les faits, non, cela paraît assez peu vraisemblable. Qu’il y ait des Khazars parmi les ancêtres des Ashkénazes actuels, c’est tout à fait possible, et même fort probable. N’en déplaise aux études génétiques actuelles – notamment celles commanditées par les milieux sionistes pressés évoqués plus haut – les juifs actuels, et parmi eux les ashkénazes, sont le résultat d’un mélange de gens issus de divers horizons. Il y a certainement parmi leurs ancêtres d’authentiques anciens hébreux mais aussi nombre de convertis de toute sorte.
Si les juifs d’aujourd’hui peuvent (et veulent) parfois donner l’impression qu’ils constituent une race homogène du fait de l’endogamie, il en va pour eux, comme pour toutes les autres nations de la terre : l’incertitude génétique domine.
Et chez les juifs bien plus encore que chez les autres, car ce qui a fait « le juif » au cours des siècles, depuis la naissance du judaïsme moderne après la mort du Christ, ce n’est pas une appartenance culturelle ou une origine géographique, mais une religion.
Or, à une religion, on peut se convertir – et à la religion juive, beaucoup de païens s’y sont convertis pendant l’antiquité et jusqu’au Moyen-Age. C’est un fait que personne ne peut contester aujourd’hui. Un fait que les Khazars, d’ailleurs, nous rappellent.
Donc, oui, selon toute vraisemblance, il y a des Khazars parmi les ancêtres des Ashkénazes actuels. Mais, en toute logique, il y en a très probablement aussi parmi les juifs mizrahim puisque la Khazarie était au moins aussi proche du Moyen-Orient que de l’Allemagne. Et aussi parmi les Sépharades, du fait des mariages, des voyages commerciaux divers, des migrations…
De là à dire comme ce professeur israélien cité plus haut que « leurs descendants constituent aujourd’hui la grande majorité de la communauté juive »…C’est aller un peu vite en besogne.
Et c’est surtout très lourd d’implications.
Un ver dans le fruit : Arthur Koestler
Arthur Koestler dans son livre sur la « treizième tribu » (les Khazars s’ajoutant aux douze tribus mythiques d’Israël, forment pour ainsi dire la cinquième roue du carrosse) explique que cette tribu turcique, originaire d’Asie centrale comme tous les peuples turcs (plus précisément de la région de l’Altaï, nous y reviendrons), fondatrice d’un grand empire dans les steppes au nord du Caucase, se seraient convertie au judaïsme vers 740.
Mais une rébellion se serait fait jour au sein de ce peuple de cavaliers ombrageux, une partie refusant les prescriptions juives imposées par le pouvoir royal. Un massacre s’en serait suivi et les survivants auraient fui chez leurs voisins Magyars (qui n’étaient pas un peuple turc, mais un peuple de culture probablement assez proche comme en atteste la proximité entre les langues ouraliennes et les langues turques).
Vers la même époque, justement, les Magyars quittent leur région d’origine située dans l’Oural et le bassin de la Volga pour aller coloniser la plaine de Pannonie, plus à l’ouest, au bord du Danube… emmenant les réfugiés Khazars dans leurs bagages.
Le royaume de Hongrie qui naîtra de cette colonisation Magyare sera christianisé au Xe siècle mais les Khazars juifs, eux, seraient restés fidèles au judaïsme et auraient essaimé dans toute l’Europe centrale.
Arrivés en vallée Rhin, ils subirent, on ne sait trop pourquoi ni comment, une métamorphose culturelle, de sorte que, dès le XIIIe siècle, apparaîtront les premières traces écrites de ce qui sera à partir du XIVe siècle la langue de tous les Ashkénazes, le yiddish.
Le yiddish, une langue germanique
C’est là, précisément, que le bât blesse. Le yiddish est une langue germanique proche de l’allemand. Pourquoi ne trouve-t-on quasiment aucune trace dans le yiddish de la langue turque que parlaient les Khazars, ni même de hongrois, pourtant réputé proche grammaticalement des langues turques ?
Quand Rachi de Troyes – déjà évoqué plus haut- a parlé pour la première fois à la fin du XIe siècle de juifs ashkénazes, c’était pour désigner les juifs d’Allemagne et plus précisément ceux de la Vallée du Rhin. A priori, aucune mention n’est faite par lui de Khazars venus s’acculturer sur les terres occidentales.
Un peu plus tard, au XIIe siècle, un autre rabbin, Benjamin de Tudèle mentionne explicitement, lui, en revanche, les Khazars dans son Livre des voyages. Il mentionne notamment la ville d’Itil, la capitale du Khanat khazar et fait référence à la conversion des khazars au judaïsme. C’est à lui apparemment que l’on doit la première évocation écrite que les Khazars pourraient être l’une des douze tribus perdues d’Israël (Koestler poursuivra dans cette veine, mais en détournant un peu le sens originel, puisqu’il parlera de 13e tribu, pour bien souligner l’absence de continuité génétique et l’inanité de l’antisémitisme hitlérien – mais aussi, peut-être involontairement, en introduisant la symbolique maléfique du chiffre 13).
Mais tout cet héritage paraît comme invisibilisé au XXe siècle quand en Israël comme sous la plume des eurasistes russes, le monde universitaire se passionne subitement pour le sujet « khazars ». Abraham Poliak que nous avons déjà évoqué dans son livre Khazaria : Histoire d’un royaume juif en Europe ira même jusqu’à expliquer que le yiddish se serait développé non pas en Allemagne mais en Crimée.
Des dix tribus perdues à la treizième
Pourtant, cette idée que des tribus d’Israël pourraient s’être retrouvées perdues au fin fond de l’Eurasie n’est pas une extravagance propre au seul Benjamin de Tudèle. C’est un thème que l’on retrouve tant dans la littérature rabbinique que dans la pensée ésotérique occidentale – qui, on le sait, doit énormément à la kabbale juive.
Difficile d’aborder ce sujet, par définition très occulte, à l’aide de faits précis et d’éléments tangibles. Mais on devine que l’on tient, avec cet aspect-là, une clé interprétative particulièrement intéressante.
Des mythes ésotériques pourraient-ils expliquer toute l’hystérie médiatique bouillonnant autour de la question des Khazars ?
Dans son dernier livre Sionisme – Histoire d’une hérésie du judaïsme, David Livingstone, historien de l’ésotérisme et de l’occulte, apporte un éclairage intéressant au mythe des tribus perdues en Eurasie. Il explique comment, dans la pensée ésotériste, ce mythe s’est conjugué avec d’autres mythes, liés à l’Atlantide et aux anges déchus (issus de la tradition antique ou de certains textes apocryphes de la tradition biblique, comme le livre d’Enoch par exemple).
Au XVIII-XIXème siècle, ce syncrétisme ésotériste s’est métamorphosé en spéculations théosophiques et s’est focalisé sur un lieu bien particulier : les montagnes d’Asie centrale, notamment celles de l’Altaï.
Dans littérature scientifique, les peuples turcs – qui apparaissent dans les textes anciens au début du premier millénaire – sont généralement réputés provenir d’un lieu géographique assez précis, les montagnes de l’Altaï. Comme les autres peuples cavaliers semi-nomades des steppes d’Asie centrale, on les trouve tout d’un coup dans les textes, déferlant dans l’Eurasie, remplaçant peu à peu les civilisations les ayant précédés. Ainsi les peuples turcs au cours du Moyen-Age remplacent peu à peu dans toute l’Asie centrale et jusqu’en Europe les peuples « iraniens » (appelés généralement du nom un peu général de « Scythes » par les auteurs gréco-latin). En réalité, ils ne les remplacent pas vraiment mais s’associent à eux et les dominent.
Pour expliquer ces mouvements un peu obscurs de peuples, l’idée des occultistes a été la suivante : après le déluge, tout un tas de peuples fantastiques comme les Atlantes ou les descendants des filles de Caïn croisées avec les « fils de Dieu » (expression que l’on trouve dans la genèse pour désigner des anges déchus) auraient réussi à survivre miraculeusement sur les hautes montagnes de l’Himalaya (ou dans des souterrains, c’est selon) puis auraient rencontré les descendants de tribus perdues d’Israël égarés dans ces contrés peu hospitalières.
De cette rencontre naquirent différents peuples en apparence bien humains, mais marqués d’un sceau surnaturel. Les Aryens faisaient partie de ces peuples. Mais certains Turcs – proches des Turcs originels – peuvent aussi prétendre à cette généalogie mythique prestigieuse… Ce qui pourrait donc tout à fait être le cas de nos fameux Khazars.
On commence à entrevoir en quoi l’ouvrage de Arthur Koestler peut être considéré comme un point de rupture dans le mythe judéo-khazar.
C’est en tout cas ce que suggère David Livingstone. Le livre de Koestler inaugure véritablement une nouvelle phase de l’utilisation du mythe, où les dénommés « judéo-khazars » vont devenir une espèce force insaisissable à la limite du surnaturel.
Il s’en est suivi que certains, perdant de vue le principe et la fonction d’un mythe ésotérique, se sont mis à croire réellement à l’échafaudage mythologique décrit plus haut et, ce faisant, se sont transformés en chambre d’amplification auprès du plus grand nombre des idées apocalyptiques qu’il implique…
D’autres, à l’inverse, par peur du scandale mais sans comprendre vraiment toutes les implications, ont cherché au contraire à étouffer l’affaire par tous les moyens et à faire diversion…
Et vogue la galère.
Des filles de Caïn au « Plan B »
Cela étant, l’approche par l’ésotérisme n’épuise pas le sujet. Il y a une autre clé d’interprétation possible, également très intéressante. Plus trivial, plus terre à terre, mais non moins troublant.
Cette autre clé expliquerait mieux, à vrai dire, pourquoi le serpent de mer de l’origine khazare des Ashkénazes a brusquement ressurgi à partir des années 50, c’est-à-dire au lendemain de la création de l’État d’Israël.
Cette autre clé n’est d’ailleurs pas forcément déconnectée de la première. Au contraire, elle la prolonge.
L’idée d’une origine khazare des juifs ashkénazes pourrait intéresser des sionistes « moins pressés » que ceux qui œuvrent actuellement en Palestine. Des sionistes moins pressés mais plus anxieux ou plus réalistes. Des sionistes qui craindraient ou prévoiraient que le passage en force de la création de l’État d’Israël en 48 sera peut-être une impasse et qui chercheraient un « Plan B ».
Après tout, n’est-il pas écrit dans le Talmud que seul le Messie pourra ramener le peuple de Dieu sur la terre promise ?
Ces sionistes-là, possiblement plus empreint de mysticisme et de surnaturel que les socialistes matérialistes qui ont fondé l’état d’Israël, pourraient logiquement trouver intérêt à diffuser dans l’opinion publique l’idée que la terre des anciens Khazars dans le sud de l’Ukraine et de la Russie appartient historiquement tout autant au peuple juif que l’ancienne Judée. Tout du moins aux juifs ashkénazes…
Histoire d’avoir une solution de repli, au cas où, pour accueillir les immigrants russo-israéliens éventuellement délogés par les hordes palestiniennes.
La guerre actuelle entre l’Ukraine et la Russie, deux pays dirigés par des présidents très liés, personnellement et politiquement, aux juifs ashkénazes – notamment aux Loubavitch, dont l’influence là-bas comme ailleurs se fait de plus en plus pressante – donnerait à cette théorie un bien sinistre écho et nous espérons sincèrement qu’elle n’est pas vraie.
Car si elle était avérée, cela pourrait vouloir dire que des forces liées au pouvoir en Ukraine et/ou en Russie chercheraient à attiser cette guerre meurtrière pour faire place nette afin de permettre, le moment venu, le retour de juifs ashkénazes expulsés d’Israël… ça donne des frissons et on aime mieux ne pas y penser.
À dire vrai, la possibilité de créer une seconde Judée pour les juifs dans l’espace russo-ukrainien a déjà été testée par le passé.
Soljenitsyne dans son livre Deux siècles ensemble raconte longuement les efforts des tsars de l’empire russe au XIXe siècle, pour inciter les juifs à coloniser la Novorossia, reprise aux Turcs ottomans sous Catherine II et alors peu peuplée. Des efforts très peu couronnés de succès, il faut dire. Du fait, semble-t-il, et c’est à souligner, du manque d’intérêt des masses juives concernées.
Plus tard, ce seront les Soviétiques qui envisageront de créer une République autonome pour les juifs – en Crimée, cette fois-ci. Finalement, Staline préférera à la Crimée la région autour de Birobidjan en Sibérie extrême-orientale et y créera en 1934 une « Région autonome juive « qui existe toujours d’ailleurs, avec son étrange drapeau arc-en-ciel aux couleurs du noachisme…
Karaïte Connection…
En tout état de cause, d’aucuns ont été passablement inquiets de voir le président Zelensky signer le 21 juillet 2021 une loi sur les peuples autochtones d’Ukraine, définissant les Karaïtes et les Krymchaks (deux groupes différents de juifs de Crimée) comme « peuples autochtone d’Ukraine ».
Ces juifs (qui se distinguent des Ashkénazes, c’est important de le noter) se revendiquent clairement de culture turque. De là à voir en eux les descendants directs des Khazars, il n’y a qu’un pas que beaucoup d’entre eux ont franchi.
Karaites et Krymchaks, tous juifs et originaires de Crimée, se distinguent par le type de judaïsme qu’ils pratiquent. Les Tatars de Crimée (autre peuple autochtone protégé par la loi de 2021) désignent les Krymtchak sous le nom de zuluflı çufutlar (« juifs avec papillotes ») pour les distinguer des Karaïtes, appelés zulufsız çufutlar (« juifs sans papillotes »).
On pense généralement que les Khazars du Moyen-Âge devaient avoir été convertis par des juifs karaïtes (l’origine géographique précise de ces juifs convertisseurs est très débattue). Le karaïsme était très répandu au premier millénaire, voire largement majoritaire dans de nombreuses communautés juives d’orient. La tendance s’est radicalement inversée par la suite, au point qu’aujourd’hui, les communautés de juifs karaïtes sont devenues résiduelles.
Les Ashkénazes d’aujourd’hui sont rabbiniques dans leur écrasante majorité, mais cette affiliation a pu varier au fil des siècles – soit par conversion des Karaïtes au christianisme ou à l’Islam, soit par leur conversion progressive au judaïsme rabbinique.
Est-ce parce qu’ils croyaient que seuls les juifs karaïtes descendaient des Khazars que les nazis ne les ont pas inquiétés pendant la seconde guerre mondiale ? Beaucoup de juifs rabbiniques ont pu ainsi échapper à leur rage exterminatrice en se faisant faire des certificats de karaïsme par des juifs karaïtes compatissants. Ce fait (pourtant tout à fait établi par les historiens) laisse songeur, et, à minima, interroge sur les motivations exactes de ces nazis que l’on dit obsédés par une vision du monde basée sur la biologie et la guerre zoologique entre races. Les nazis, d’ordinaire si méticuleux pour ce qui touchait à toutes ces questions n’ont-ils pas pu envisager la possibilité que l’on puisse se convertir, passer du karaïsme au rabbinisme et vice versa ? Que venaient faire ces subtiles distinctions théologiques dans leur Grosspolitik ? Ce point reste mystérieux.
… ou parfait noachisme ?
De toute façon, le peuple khazar semble plutôt, à l’instar des autres peuples turcs, avoir été dans l’ensemble tenté par la conversion à l’islam plutôt qu’au judaïsme. Et comme on l’a dit plus haut, la conversion au judaïsme n’aurait concerné que la classe dirigeante.
En outre, il est vraisemblable qu’ils n’aient pas abandonné toute suite après leur conversion leurs croyances traditionnelles – un chamanisme appelé tengrisme.
Et il faut aussi souligner que les tribus rassemblées au sein de l’empire des Khazars ne constituent pas une entité unifiée mais plutôt une confédération de peuples nomades, pas tous turcophone, loin s’en faut.
Le voyageur et théologien Ahmad Ibn Fadlan, qui a séjourné dans la capitale du kaghanat khazar Itil en 921 et 922, dépeint une mégalopole s’étendant sur les deux rives de la Volga : “La ville, de part et d’autre du fleuve Atil, se compose de deux parties, l’une pour les musulmans (c’est-à-dire tous les non-Juifs), l’autre pour le roi et sa cour. Les Khazars et leur roi sont tous juifs. La règle veut que le souverain ait 25 femmes, chacune fille d’un roi rival, dont il s’empare de gré ou de force. Il possède en outre une soixantaine de jeunes concubines. Chacune de ses femmes et concubines se trouve dans un palais différent, et dispose d’une pièce en forme de coupole entourée d’un espace pour la promenade. Les Slaves et tous leurs voisins sont sous l’emprise du roi, il les traite comme des esclaves.”
Cette description haute en couleur dépeint un système politique et social qui semble bien éloigné de celui de la Judée de l’époque du Christ… Mais qui pourrait, en revanche, être tout à fait compatible avec le noachisme préconisé dans le Talmud.
Le noachisme ? A l’image du drapeau arc-en-ciel des ashkénazes du Birobidjan ?
On en perd son latin.
Au terme de ce rapide périple autour du « phénomène khazar», il reste un tâche immense : déterminer exactement qui agite le chiffon rouge du mythe « judéo-khazar » sur la toile.
Pour l’heure, contentons-nous d’évoquer la mémoire du père du néo-eurasisme, Lev Goumilev, descendant de Tatars par sa mère, la poétesse Anna Akhmatova et qui consacra la majeure partie de son œuvre aux Khazars. Ceux-ci sont le fil conducteur qui sous-tend son ouvrage séminal consacré à l’apparition et la disparition des groupes ethniques : L’Ethnogenèse et la biosphère.
Tout un programme…
Il est aussi très instructif de lire l’article de Wikipédia consacré aux Khazars. Il s’est considérablement enrichi ces toutes dernières années.
On y apprendra que « Les Khazars fondent peut-être la ville de Kiev, en Ukraine d’aujourd’hui, et sont indirectement à l’origine de la fondation de la Moscovie, la Russie actuelle, qui s’est construite à partir de la Rus’ de Kiev (Khaganat de la Rus’), à la suite de l’invasion de la Khazarie par les barbares ruthènes (rusyns) et ou varègues venus du nord ».
Que ceux qui voyaient la Russie et l’Ukraine comme une terre slave depuis la plus haute antiquité se le tiennent pour dit !
Annoushka
1 – https://www.leddv.fr/analyse/la-theorie-des-khazars-un-pont-entre-antisionisme-antisemitisme-et-ideologies-extremistes-20240916 .